Eugène-François Vidocq : au cœur du Bureau des affaires occultes

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Après avoir évoqué l’empereur Constantin à l’occasion de la sortie du roman Les pirates de Dieu (François-Henri Soulié), Les mots et l’Histoire se penchent sur la figure controversée de Vidocq, bagnard devenu policier de choc dans la première moitié du XIXème siècle et personnage récurrent de la série « Le Bureau des affaires occultes » d’Eric Fouassier.

Le 4ème volume de cette série au succès retentissant vient de sortir en Poche. L’occasion nous est donnée de nous pencher sur cet étrange Eugène-François Vidocq, policier aux méthodes peu conventionnelles, passé à la postérité grâce à ses mémoires un peu flatteuses et récupéré de nombreuses fois dans la littérature et à l’écran.


Une jeunesse tumultueuse

Né à Arras le 24 juillet 1775 dans une famille de boulangers relativement aisée, Eugène-François Vidocq manifeste très tôt un tempérament rebelle. Costaud et bagarreur, il multiplie les méfaits. À seize ans, il dérobe les économies familiales pour tenter de rejoindre l’Amérique depuis Ostende, mais y est dépouillé. Livré à lui-même, il survit comme saltimbanque dans une troupe de cirque, puis comme colporteur, avant de revenir à Arras.

En 1791, en pleine Révolution française, il s’engage dans l’armée, mais son comportement indiscipliné, marqué notamment par de nombreux duels, conduit à son renvoi du 11e régiment de chasseurs à cheval en 1793. Une tentative de mariage contraint avec une jeune femme supposément enceinte tourne à l’escroquerie sentimentale : il l’abandonne après lui avoir volé ses économies. S’ensuit une longue période d’errance, faite de vols, d’escroqueries et de condamnations.

Une carrière criminelle marquée par les évasions

Vidocq est condamné à plusieurs reprises pour divers délits, notamment pour faux en écritures publiques. En 1796, il est condamné à huit ans de travaux forcés. Il parvient cependant à s’évader du bagne de Brest en se déguisant en matelot, puis, après une nouvelle arrestation, il s’échappe de celui de Toulon en 1800. Ces évasions répétées, spectaculaires et audacieuses, renforcent sa réputation au sein du monde criminel. Il y acquiert une notoriété durable, fondée sur son ingéniosité et son habileté à déjouer l’autorité.

D’indic à chef de la Sûreté

A nouveau arrêté en 1809, Vidocq propose ses services d’indicateur au préfet de police de Paris. Dès 1811, le préfet Pasquier le charge officieusement d’organiser une brigade de police composée d’anciens condamnés : la Brigade de Sûreté. Ce serviced’un genre inédit, où les policiers sont d’anciens criminels infiltrés dans le « milieu », se révèle d’une efficacité redoutable.

Officiellement nommé à la tête de la Sûreté en 1818, Vidocq revendique au cours de sa carrière plus de 16 000 arrestations. Grâce à son expertise du langage des bas-fonds, ses talents de déguisement et sa connaissance approfondie des habitudes du monde criminel, il parvient à démanteler de nombreuses bandes organisées.

Cependant, ses méthodes — parfois à la limite de la légalité — lui attirent la méfiance des autorités. En 1827, sous la pression politique et médiatique, il est évincé de la Sûreté. C’est à cette époque qu’il rédige ses mémoires, 4 volumes qui remportent un succès considérable et qui contribuent à forger sa légende. Il est aujourd’hui admis que ce texte, basé sur les notes prises par Vidocq, n’a pas été rédigé entièrement par lui et qu’il a fait appel à des « nègres ». Cette pratique était courante au XIXème siècle.

A la suite de l’installation de la Monarchie de Juillet, Vidocq est rappelé à la tête de la Sureté en 1832 … pour sept mois seulement. Le préfet de police décide alors de se passer de lui dans le but de « moraliser » ses effectifs !

Vidocq et le Bureau des affaires occultes

La série du Bureau des affaires occultes se déroule entre 1830 et 1832. Vidocq en est un personnage secondaire certes, mais important.

L’auteur, Eric Fouassier, nous plonge dans les intrigues d’une époque particulièrement bien restituée, avec un personnage intéressant : le jeune inspecteur Valentin Verne recèle de nombreuses qualités, mais aussi des failles creusées par un passé douloureux qui le poursuit jusqu’au plus profond de son être, même quand il pensait en avoir fini. Le Vicaire, horrible personnage cruellement bien décrit par Eric Fouassier, hante Valentin, même au-delà de la mort…

Lors de la première histoire de la série, qui se déroule en 1830, Vidocq est retiré des affaires, mais a conservé son carnet d’adresses et son habileté. Valentin Verne et lui se connaissent. Le jeune enquêteur a récemment été muté du service des mœurs à la brigade de Sûreté que dirigeait Vidocq précédemment. L’ancien bagnard met ses connaissances et son habileté au service de son jeune protégé. Celui-ci doit élucider d’étranges meurtres qui risquent de mettre en péril le nouveau régime politique.

Le troisième volet des aventures de Valentin Verne, Les nuits de la peur bleue, nous sommes en 1832. Vidocq redevient chef de la Sûreté et protège le Bureau des affaires occultes dirigé par Valentin. Il retrouve même ses anciennes habitudes de malfrat pour aider Valentin à éclaircir le nouveau mystère qui hante la capitale française en proie à une épidémie de choléra.

Le dernier épisode de la série, Le chant maléfique, accentue encire le caractère sincère, sympathique et loyal de Vidocq. Alors que Valentin est aux prises avec une énigme à rebondissements en Vendée, sa compagne Aglaë se lance dans une enquête sur un meurtre à Paris et a bien besoin de l’aide de Vidocq dans les moments difficiles. On est là, à la limite de la vraisemblance du personnage de Vidocq qui apparaît presque comme un « bon papa gâteau », ce qu’il n’était certainement pas dans la réalité. On espère que la suite des aventures de Valentin Verne – série de grande qualité au demeurant et que je me réjouis de poursuivre – remettra le personnage de Vidocq plus en phase avec ce qu’il était dans la réalité.

Le détective privé avant la lettre

Car ce personnage peut encore apporter beaucoup à la série.

En 1833, Vidocq fonde la première agence de détectives privés en France. Il y propose, contre rémunération, des services de surveillance économique, de lutte contre l’escroquerie, mais aussi d’enquêtes privées sur des affaires familiales (adultères, successions, disparitions).

Cette initiative pionnière marque la naissance d’une forme de police privée à visée commerciale. Cependant, l’agence est fermée en 1837 sur décision judiciaire. Vidocq est emprisonné, puis acquitté après un an de détention. Il reprendra ponctuellement des activités d’indicateur, notamment en 1848, au cœur des troubles républicains.

Il meurt à Paris le 11 mai 1857, à l’âge de 81 ans. Sa sépulture, un temps visible au cimetière du Père-Lachaise, a disparu à la fin du XIXe siècle.

Vidocq dans la littérature et à l’écran

Plusieurs écrivains majeurs du XIXe siècle se sont inspirés de Vidocq et de ses mémoires.

Honoré de Balzac transpose ses traits dans le personnage de Vautrin, figure centrale de La Comédie humaine. Victor Hugo, s’en inspire dans trois personnages des Misérables : Jean Valjean, pour le passé de forçat et les évasions ; Javert, pour le policier inflexible et l’obsession de la loi ; et Thénardier, pour l’aspect crapuleux et manipulateur.

A l’écran, on se souvient de Claude Brasseur incarnant un Vidocq flamboyant dans Les Nouvelles Aventures de Vidocq, une série télévisée populaire du début des années 70.

En 2001, Gérard Depardieu joue le rôle-titre dans Vidocq, un film mêlant enquête criminelle et éléments de science-fiction et plus récemment, en 2018, Vincent Cassel prête ses traits à un Vidocq sombre et tourmenté dans L’Empereur de Paris, qui ne restera pas dans ma mémoire.

J’ai trouvé peu de romans récents traitant des aventures de Vidocq (par exemple : Michel Peyramaure, Vidocq, Robert Laffont, Paris, 2007, 377 p., roman constituant le dernier volet du triptyque Les Trois Bandits, après Cartouche et Mandrin).

On peut donc se réjouir de revoir ce fascinant personnage revenir dans chaque épisode de cette série particulièrement réussie qu’est Le Bureau des affaires occultes.

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez en savoir plus sur Vidocq, voici quelques ouvrages et vidéos à découvrir.

Monographies :

  • Jean-Pierre Jessenne, Vidocq : entre rébellion et nouvel ordre, Paris, Fayard, 2024, 376 p.
  • Xavier MauduitVidocq, 1775-1857 : une vie épique, Montrouge, Bayard, 2018, 369 p.
  • Marie-Héléne Parinaud, Vidocq, Éditions Grand Caractère, coll. « Biographie », Paris, 2007, 318 p.
  • Éric Perrin, Vidocq, Paris, Pocket, coll. « Pocket » (no11400), 2001, 313 p., poche
  • Jean Savant, Le vrai Vidocq, Paris, Librairie générale française, coll. « Le livre de poche » (no3305), 2001, 317 p.,

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