Autour du Phénix

Bertrand de L’Escaille, attaché de légation : être diplomate belge en 1884.

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Faisons connaissance avec notre héros au travers de sa fonction de diplomate débutant et explorons une partie de son passé avant de plonger dans l’aventure.

Extrait des Secrets du Phénix (premier chapitre) : « Je n’ai plus confiance en vos contritions aussi spontanées que passagères, mon garçon. Je prépare un rapport vous concernant à l’attention de l’administration centrale, mais j’hésite sur son contenu. Bien entendu, je pourrais suggérer un licenciement en raison de vos écarts de conduite. Ou je pourrais invoquer votre jeune âge et votre inexpérience qui rendent prématurée votre présence dans un poste de prestige. Dans ce cas, vous repartirez à Bruxelles et, si vous voulez persister dans la carrière diplomatique, dans quelques années, vous obtiendrez peut-être un poste d’attaché en Perse ou au Japon. Qui sait ? Avec un peu de chance, vous finirez secrétaire de deuxième classe avant votre retraite… ».

Bertrand de L’Escaille est un jeune attaché de légation de vingt-deux ans, en poste à l’ambassade de Belgique à Paris. Dans cet extrait du premier chapitre, l’ambassadeur tient des propos pour le moins peu engageants à l’égard de Bertrand. En lisant Les secrets du Phénix, vous découvrirez que cette déconvenue constitue le point de départ d’ennuis bien plus graves pour le jeune homme. Mais auparavant, je vous propose de vous expliquer le fonctionnement du monde diplomatique belge et de l’ambassade de Belgique à Paris en ce mois d’août 1884.

Au sommaire de cet article

Bertrand de L’Escaille, diplomate débutant

La diplomatie belge en 1884

L’ambassade de Belgique sous la direction du baron Beyens.

Pour aller plus loin…

  

 

Bertrand de L’Escaille, diplomate débutant

Une administration déjà bien installée

En 1884, soit un peu plus de cinquante ans après son indépendance, la Belgique possède un réseau diplomatique étoffé et un personnel de qualité, dont la carrière est déjà bien organisée.

Le ministre des Affaires étrangères, le catholique Alphonse de Moreau, en fonction du 16 juin au 26 octobre 1884, dispose d’un cabinet restreint et s’appuie surtout sur une administration dirigée par le secrétaire général Auguste Lambermont (1819-1905), figure majeure de la diplomatie belge du XIXème siècle. Lambermont a joué un rôle politique de premier plan dans les relations extérieures de la Belgique pendant ses 45 ans de présence à ce poste.

Auguste Lambermont – © L’avenir

Le secrétariat général s’occupe des dépêches diplomatiques qu’il transmet au cabinet ou aux directions concernées. Il a la charge du bureau d’expédition, du service des ordres et de la noblesse et de la direction des archives, des traductions et de la bibliothèque.

Il chapeaute plusieurs directions :

  • La direction politique qui gère la correspondance diplomatique, les négociations des traités, le personnel diplomatique, …
  • La direction du commerce et des consulats : la plus importante en termes d’agents. Elle examine les questions d’intérêt commercial et maritime. La Belgique de la fin du XIXème siècle est l’une des plus importantes puissances économiques mondiales (avec la Grande-Bretagne et les Etats-Unis), à la suite de l’essor de l’industrialisation. Il n’est donc pas étonnant de constater l’importance de cette direction du commerce.
  • La direction de la comptabilité
  • La direction de la chancellerie pour les questions de nationalité, d’état civil, de passeports, etc.

L’administration centrale est composée de 51 personnes en 1879. Ce cadre s’étend chaque année : en 1895, elle compte 72 agents.

Un diplomate au début de sa carrière

Bertrand a commencé sa carrière à l’administration centrale, avant d’être bombardé à Paris -dans des circonstances que vous découvrirez dans le roman- avec le grade d’attaché de légation. A quoi correspond cette fonction ?

Le corps diplomatique est structuré de manière très hiérarchique depuis 1846. Au sommet de la pyramide, trônent les ambassadeurs ou les légats. Ils forment la première classe et constituent l’élite du personnel diplomatique.

Le reste de cette pyramide s’établit ensuite de la sorte :

  • Deuxième classe : les ministres plénipotentiaires.
  • Troisième classe : les ministre résidents.
  • Quatrième classe : les chargés d’affaires en pied, qui sont accrédités auprès des ministres des Affaires étrangères et non auprès des chefs d’Etat, contrairement aux diplomates de trois premières classes.

Derrière ces catégories de personnages accrédités, suit un ensemble de fonctionnaires envoyés directement par le département des Affaires étrangères et qui ne possèdent pas d’accréditations. Dans l’ordre hiérarchique décroissant, on trouve :

  • Les conseillers de légation ;
  • Les secrétaires de légation de 1ère classe ;
  • Les secrétaires de légation de 2ème classe ;
  • Les attachés de légation

Bertrand de L’Escaille, un jeune diplomate pistonné

Bertrand de L’Escaille se situe donc au premier échelon de sa carrière et il espère progresser. La désignation au poste d’attaché est assez discrétionnaire et dépend du ministre. Celui-ci se fonde sur des appréciations personnelles et des recommandations, sans qu’il soit prévu d’examen. En d’autres termes, Bertrand est un pistonné ! Il doit son poste à l’intervention de son père, le défunt vicomte Victor de L’Escaille, ambassadeur de Belgique à Londres, dont on l’ombre plane à plusieurs reprises dans le roman.

Peu après l’entrée de Bertrand au ministère, son père meurt inopinément. Par égard pour sa personnalité et pour les services rendus au pays, les autorités du ministère confient à son fils son premier poste à Paris, là où Victor de L’Escaille avait débuté sa carrière trente ans plus tôt. Cet élément n’est pas sans importance dans les aventures que vivra Bertrand.

En tant qu’attaché, Bertrand n’est pas destiné à jouer un rôle diplomatique majeur à Paris, mais le prestige de ce poste peut étonner pour un début de carrière. Quand je vous dis qu’il est pistonné…

La moyenne d’âge d’entrée dans la carrière est de 24 ans. Bertrand a 22 ans : il est un peu en avance, mais on trouve des attachés dès l’âge de 18 ans. En contrepartie du choix arbitraire du ministre pour désigner les titulaires de ce grade, l’attaché ne reçoit aucune rémunération. On considère qu’il s’agit d’une sorte de « noviciat » au cours duquel la jeune recrue teste sa vocation et ses aptitudes pour la carrière diplomatique. Cette restriction sévère limite dès lors le choix de la catégorie sociale des jeunes élus : en 1905, 60% des agents proviennent encore de la noblesse…

L’attaché de légation a tout intérêt à présenter (et réussir) l’examen diplomatique donnant accès au grade de secrétaire de légation de 2ème classe qui lui, est rémunéré, fût-ce de manière limitée. L’accès à l’examen est réservé aux attachés qui ont atteint 21 ans et disposent d’un titre universitaire.

Comme on le pressent dans l’extrait, les ambitions de Bertrand se heurtent à l’avis tranché de l’ambassadeur Beyens. Le comportement frivole du jeune attaché a fini par avoir raison de la patience de son supérieur. Pistonné et même pas conscient de sa chance : Bertrand de L’Escaille ne débute pas l’aventure sous les meilleurs auspices…

 

La diplomatie belge en 1884

Image par Mohamed Hassan de Pixabay

Extrait des Secrets du Phénix (troisième chapitre) :

« — Ce n’est pas à ce titre que je me permets de vous contacter, monsieur le président. Il s’agit d’une affaire privée.

— Ah ! Tant mieux ! Je craignais avoir commis un impair diplomatique dans un discours. Je ne voudrais pas me fâcher avec la Belgique, petit Etat par la taille, mais grand par son rayonnement ! Alors, de quelle affaire voulez-vous m’entretenir ? »

On l’a dit : la Belgique joue un rôle majeur sur la carte du monde, en particulier dans le domaine économique. Et on connaît l’importance de l’économie dans la politique internationale.

La diplomatie belge est menée par le gouvernement et l’administration, mais on ne peut passer sous silence l’action du roi des Belges, Léopold II. Il rêve de grandeur pour son pays et pour lui-même et se montre obsédé par l’idée d’acquérir une colonie. Après plusieurs tentatives avortées, il a jeté son dévolu sur le centre de l’Afrique et dans quelques mois, à la conférence de Berlin, il verra ses droits personnels reconnus sur le Congo.

Scoop : la conférence de Berlin sera le cadre de la deuxième enquête de Bertrand de L’Escaille !

Aux commandes, Léopold II peut compter sur un trio de choc, « les trois mousquetaires » qui le soutiennent dans ses visées : le baron Auguste Lambermont déjà évoqué, le bibliothécaire Emile Banning et l’architecte miliaire Henri-Alexis Brialmont.

Sur le terrain, la diplomatie belge est présente dans les pays qui comptent, en Europe et dans le reste du monde. Au-delà de l’aspect politique, ce sont surtout les relations commerciales qui priment. Les postes les plus prestigieux sont Paris et Londres, mais il faut aussi mentionner Vienne, capitale de l’empire austro-hongrois, le Saint-Siège malgré une rupture diplomatique entre 1879 et 1884, et La Haye. Hors Europe, les grands postes se situent à Washington, au Brésil, en Chine, au Japon et au Maroc.

Le réseau belge s’étend avec le temps, notamment en Egypte au début du XXème siècle. A la veille de la Première Guerre Mondiale, la Belgique compte 27 postes diplomatiques, dont 2 en Afrique, 2 en Amérique centrale et du Sud et 3 en Asie.

 

L’ambassade de Belgique sous la direction du baron Beyens.

Le terme « ambassade » est réservé aux missions diplomatiques de première classe, comme Paris ou Londres, tandis que le terme « légation » désigne une mission de seconde catégorie.

L’ambassade de Belgique à Paris en 1884 est située au 15 boulevard Saint-Honoré. Il est difficile de s’en faire une idée précise. Pour les besoins du roman, j’ai donné à l’ambassade une apparence de bâtiment administratif comportant aussi des pièces d’apparat et j’en ai conçu une image plus proche de ce qu’on pourrait imaginer de nos jours. Il est probable que le soutien administratif de l’ambassadeur en 1884 était réduit à quelques personnes et que le bâtiment ne devait pas être composé de bureaux.

Baron Beyens – phot. Eug. Pirou — Le Monde illustré, Domaine public

L’ambassade est dirigée par le baron Eugène Beyens, qui ne ménage pas notre héros, ni dans l’extrait en introduction de cet article ni plus tard dans le récit.

Le baron Beyens fut un des premiers diplomates du nouveau royaume de Belgique. Affecté à La Haye, Madrid et Cobourg, il rejoint Paris en 1853 et y restera jusqu’en … 1894. Une longévité impressionnante qui en fait un des diplomates les plus respectés dans la capitale française. Anecdote à ce sujet : en 1855, il a un fils qu’il prénommé Eugène Napoléon et qui aura comme parrain et marraine l’empereur Napoléon III et son épouse. C’est un personnage très influent et le rôle déterminant qu’il joue dans notre histoire, en nouant des contacts avec le préfet de police Camescasse notamment, paraît tout à fait vraisemblable.

Beyens accède au poste de ministre plénipotentiaire en 1864. Dans le roman, il succède à cette date à Victor de L’Escaille, le père de Bertrand, à la tête de l’ambassade. Pour la facilité de la lecture, dans Les secrets du Phénix, le baron est désigné par le titre d’ambassadeur plutôt que par celui de ministre plénipotentiaire.

Son fils, Eugène Napoléon, suivra ses pas dans la diplomatie. Il sera ambassadeur en Allemagne à la veille de la Première Guerre mondiale et auprès du Saint-Siège dans les années 1920 et ministre des Affaires étrangères entre 1916 et 1917.

A la tête du poste diplomatique de Paris, le baron Beyens nourrit une conception très haute de ses responsabilités et du comportement de ses collaborateurs. Le jeune oiseux Bertrand de L’Escaille n’entre pas tout à fait dans son schéma idéal, fût-il le fils de son prédécesseur. C’en est trop pour l’ambassadeur qui décide de renvoyer Bertrand en Belgique. Et c’est le début des problèmes pour notre héros…

Pour aller plus loin…

Si vous soulez en savoir plus sur la diplomatie belge, son organisation et les grandes figures de cette activité en 1884, je vous conseille les lectures suivantes, qui m’ont aidé à rédiger cet article :

  • Rik COOLSAET, Vincent DUJARDIN, Claude ROOSENS, Les Affaires étrangères au service de l’Etat belge. De 1830 à nos jours, Bruxelles, Mardaga, 2014.
  • Raoul DELCORDE, Les diplomates belges, Wavre, Mardaga, 2010.
  • Jo GERARD, Les éminences grises de Laeken, Bruxelles, JM Collet, 1982.

Cet article vous a plu? Vous en savez un peu plus sur l’environnement des Secrets du Phénix et vous souhaitez découvrir le roman? Faites-moi part de vos impressions en laissant un commentaire


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fabrice-mairlot

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