Autour du Phénix

Plongée dans le 19ème siècle : 1884, l’année clé des Secrets du Phénix

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Les événements des Secrets du Phénix se déroulent à la fin du 19ème siècle, plus précisément au milieu de l’année 1884. Ce choix ne repose pas sur le hasard. Il ne s’agit pas d’une année extraordinaire : pas de guerre, de coup d’Etat, d’invention qui révolutionne le monde, mais en 1884, il se passe certaines choses qui nourrissent la trame des Secrets du Phénix. Je vous propose de les découvrir dans cet article.

L’intrigue d’un thriller historique ou d’un polar historique doit par nature s’ancrer dans la réalité de l’époque qui y est décrite. Cela nécessite des recherches longues et parfois difficiles. Dans Les secrets du Phénix, j’ai été amené à devoir aborder des questions inattendues mais nécessaires pour rendre le récit crédible.

Des choses de la vie quotidienne tout d’abord. On ne vivait pas à la fin du 19ème siècle comme on vit aujourd’hui. Par exemple : comment se déplaçait-on ? Avec quel type de véhicule ? A quelle vitesse ? Comment s’habillait-on ? Les rues étaient-elles éclairées pendant la nuit ? Comment la police était-elle organisée ? Quel était le prix des biens de première nécessité ? Combien valaient 5 francs de 1884 par rapport à aujourd’hui ? A quel point l’électricité et la téléphonie étaient-ils répandus ? Comment le système postal était-il organisé ? Dispose-t-on d’un plan de Paris en 1884 ? (la réponse est oui) ; quels étaient les noms des rues à cette époque ?

La multiplicité des sources d’informations dont on dispose permet la plupart du temps, de trouver des réponses. Mais cela nécessite un sérieux travail de documentation, de lecture et de tri.

A côté de ces éléments de vie quotidienne, le contexte politique, économique et social proprement dit joue un grand rôle dans la construction du récit.

Que se passait-il dans le monde et en particulier en France en 1884 ?

 

Au sommaire de cet article :

Fin du 19ème siècle : La France sous la Troisième République

La France et l’Extrême-Orient à la fin du 19ème siècle

Une avancée à la fin du 19ème siècle : la loi sur le divorce

Une image de la France au 19ème siècle : Gustave Eiffel et ses monuments

En 1884, une épidémie de choléra déferle sur la France

La fin du 19ème siècle : l’environnement des Secrets du Phénix

 

Fin du 19ème siècle : La France sous la Troisième République

Au lendemain de la capitulation de Napoléon III (septembre 1870), la Troisième République est proclamée. La France et la Suisse constituent désormais des exceptions républicaines dans une Europe monarchiste.

En 1884, le régime tend à s’affirmer après des débuts hésitants. Alors que le premier président de la jeune République, Patrice Mac-Mahon, était un royaliste, son successeur Jules Grévy est un républicain modéré. Le gouvernement de 1884 est dirigé par Jules Ferry, à la tête d’une assez large coalition de « gauche », c’est-à-dire la grande majorité des mouvements partisans du régime républicain (le terme n’a donc pas la même signification qu’aujourd’hui).

A « droite », les monarchistes et les bonapartistes sont frappés par plusieurs décès de figures centrales et s’engluent dans d’interminables querelles internes. Ils ne constituent plus une alternative crédible au plan politique.

L’opposition la plus farouche est menée par les troupes de la gauche radicale emmenées par Clemenceau, fidèle aux idéaux de la Révolution de 1789.

Extrait des Secrets du Phénix (troisième chapitre – discussion entre Bertrand et son ami, l’inspecteur Auguste Charlou) :

« —Comment se porte le crime à Paris ? demanda Bertrand.

—De mieux en mieux, fils. C’est sans doute la seule chose qui fonctionne sous cette sacrée République. On dira ce qu’on voudra, sous Badinguet, on voyait pas tout ce qu’on voit maintenant.

En privé, Auguste ne cachait pas ses sympathies pour l’empereur Napoléon III, sous lequel il avait commencé sa carrière. La République « opportuniste » qui s’était imposée, et avec elle les affaires, le haut-de-forme et les rouflaquettes, ne lui disait rien de bon. Mais les désaccords notoires entre les clans bonapartistes lui laissaient peu d’espoirs d’un retour de l’empire.

—On va devoir subir la Gueuse pendant longtemps, déplora-t-il. Pendant ce temps, les détraqués courent les rues ! Y paraît que c’est le progrès, la civilisation… »

La politique menée par le gouvernement Ferry s’appuie en réalité davantage sur le centre que sur la gauche au sens où on l’entend aujourd’hui, avec une inclination pour le développement des affaires, l’ordre social, la liberté de conscience et de culte, mais aussi le colonialisme.

Jules Ferry, qui reste dans les mémoires comme le fondateur de l’école publique laïque et obligatoire, fut un aussi un ardent défenseur de la cause coloniale. Celle-ci est largement soutenue par une grande partie de la population et de la classe politique. Elle est pudiquement recouverte du voile de l’œuvre civilisatrice à l’égard des peuples dépourvus de cette lumière… Il s’agit aussi d’assurer l’expansion économique du pays, à l’instar de la Grande-Bretagne et bientôt du roi des Belges Léopold II. Bertrand de L’Escaille ne voit pas cette politique d’un œil désapprobateur.

 

La France et l’Extrême-Orient à la fin du 19ème siècle

En 1884, la politique coloniale du gouvernement français est entièrement tournée vers le Tonkin (nord du Vietnam actuel, à la frontière de la Chine).

Depuis le début de la Troisième République, la France amplifie son influence dans la région, poussée notamment par les milieux d’affaires, l’armée et l’Eglise. Ferry mène une politique agressive qui l’amène à demander et obtenir des crédits militaires pour mener des opérations de terrain. Des contingents français débarquent au Tonkin fin 1883 et se battent contre les troupes tonkinoises et chinoises, appuyées par les redoutables mercenaires Pavillons-Noirs.

Si l’année débute plutôt bien pour les troupes françaises, les choses tournent mal à partir de juin 1884. Les Français connaissent des revers militaires. En août, la guerre est déclarée entre la France et la Chine. Entre batailles gagnées et perdues, le conflit génère des difficultés politiques qui entraîneront la chute du gouvernement Ferry en 1885, sous les coups de la droite monarchiste et de la gauche radicale de Clemenceau.

L’opération aboutira finalement à la constitution d’un protectorat français sur le Tonkin en 1885. Deux ans plus tard, le Tonkin sera versé dans l’union indochinoise, ancêtre de l’indochine française.

Ces remous touchent de près les Français qui suivent le dossier dans la presse et à l’Assemblée. De ce conflit colonial lointain, naît un imaginaire exotique qui emplit les esprits de clichés et d’inexactitudes sur les populations locales, qui feraient bondir aujourd’hui.

Shang-Ti, l’astucieux cocher chinois qui accompagne Bertrand dans Les secrets du Phénix, en témoigne d’ailleurs avec une certaine irritation.

Extrait des Secrets du Phénix (cinquième chapitre – discussion entre Bertrand et Shang-Ti) :

« —Vous êtes Chinois ? J’ai toujours cru que vous étiez Japonais …

—Chinois, Japonais, … Pour vous, c’est pareil. Je poullais dile « Votle Excellence » en loulant les « l », comme nous le faisons tous, n’est-ce pas ? Vous pensez sans doute que nous mangeons des chiens, des œufs de serpent et des rôtis de lézard. Que nous donnons nos enfants en nourriture à des animaux sauvages. Nous sommes tellement excentriques ! »

 

Une avancée à la fin du 19ème siècle : la loi sur le divorce

1884 connaît aussi des avancées sociales sur fond de crise économique. Le krach boursier consécutif à l’effondrement de la banque de l’Union générale en 1882 signe la première crise capitaliste. L’augmentation du chômage, le déclenchement de grèves dans certains secteurs et l’influence grandissante des idées anarchistes et socialistes rendent le climat social instable et galvanisent les radicaux de gauche.

Pour récupérer le discours social et calmer les esprits, le gouvernement fait adopter la loi Waldeck-Rousseau qui garantit la liberté des syndicats professionnels et permet aux ouvriers (et aux patrons) de se regrouper sans autorisation.

C’est aussi dans ce climat d’avancées sociales et sociétales que la France adopte une loi sur le divorce. Les débats autour de cette question sont ceux qui ont le plus passionné les Français en cette année 1884.

La Révolution avait légalisé le divorce par consentement mutuel (1792), le Code civil (1804) l’avait restreint à certaines conditions strictes (adultère constaté, condamnation à une peine infâmante et coups et blessures) et la Restauration (1816) était revenue en arrière en abrogeant toutes ces dispositions.

En 1884, le député radical Alfred Naquet fait du divorce son cheval de bataille. On fait intervenir des experts à la Chambre. On rapporte que les conflits domestiques seraient à l’origine du quart des homicides et de la moitié des empoisonnements et que par conséquent : le divorce sauvera des vies ! L’opposition des députés catholiques est féroce et aussi catégorique : derrière le divorce se cache l’athéisme qui finira par démolir tout l’édifice social et ouvrir la voie à la prostitution généralisée ! On le voit : les arguments sont percutants…

Le 30 mai 1884, la loi Naquet sur le divorce est votée par une courte majorité au Sénat. Elle le sera par la Chambre le 27 juillet. L’ouverture n’est toutefois pas totale : on n’en revient pas aux principes de la Révolution, mais à ceux du Consulat : les dispositions du Code civil avec des conditions précises sont rétablies, à l’exception du divorce par consentement mutuel. Il faudra attendre 1975 pour que cette possibilité soit réintroduite dans la législation française.

Dans les Secrets du Phénix, la nouvelle loi sur le divorce joue un rôle important, car elle permettrait à la comtesse de Mercy-Argenteau, ancienne maîtresse de Bertrand, de se défaire des nombreux soucis que lui cause son mari, le marquis d’Avaray.

Extrait des Secrets du Phénix (quatrième chapitre – conversation entre Bertrand et Fournier, le maître-chanteur créancier de Rose de Mercy-Argenteau) :

« — Quelque chose me dit que vous bluffez, monsieur de L’Escaille.

—Pensez-vous ? Je crois plutôt qu’il existe une convergence d’intérêts entre nous, monsieur Fournier. Vous voulez l’argent et moi, je veux innocenter la marquise. Le point commun à ces deux éléments, c’est le marquis d’Avaray. Sans lui, pas d’argent pour vous et de nombreux problèmes pour son épouse. Vous m’aidez à mettre la main sur le mari et je vous aide à récupérer l’argent qu’il vous doit.

Fournier leva un sourcil.

—Intéressant… Et comment comptez-vous vous y prendre ?

—Je n’aurai aucun mal à lui faire avouer son escroquerie. Pas moi en personne. Je sais où trouver des gens spécialisés dans ce genre de travail. Il avoue, quitte à le forcer un peu, le tribunal ordonne la saisie de ses biens et la somme vous est remboursée puisque la dette est réelle. De son côté, la marquise profite de la nouvelle loi sur le divorce, redevient la comtesse de Mercy-Argenteau et échappe aux déboires financiers de son infortuné ex-mari.

—Et elle tombe dans les bras de son sauveur à qui il ne reste qu’à attendre l’héritage parental le moment venu, n’est-ce pas ?

—Je vois que nous nous comprenons… »

 

Une image de la France au 19ème siècle : Gustave Eiffel et ses monuments

La première partie de l’année 1884 est marquée par la fin de la construction de la statue de la Liberté, qui sera livré aux autorités américaines le 4 juillet. L’idée d’une telle réalisation avait  germé vingt ans plus tôt. La conception a eu lieu dans les ateliers de l’ingénieur Gustave Eiffel, rue de Chazelles. La dimension du monument dépasse les toits de la rue, de sorte que la construction est visible de loin.

La maison Gaget, installée juste à côté, fournit les plaques de cuivre de la statue. Pour financier le projet, l’entreprise met en vente des miniatures de la statue, avec le nom « Gaget » indiqué sur le socle. La légende (inexacte dès lors) veut que ce soit là l’origine du mot « gadget ».

Au-delà de l’anecdote, vous serez peut-être surpris(e) d’apprendre que la construction de la statue de la Liberté et ses représentations miniatures jouent un rôle central dans le roman.

Extrait des Secrets du Phénix (premier chapitre) :

« L’homme jetait des regards furtifs autour de lui, cherchant désespérément ce qui pourrait l’aider. Là, sur le rebord de la cheminée, à environ un mètre et demi : un presse-papier en bronze, laid et massif, représentant la tête de la statue de la liberté. Il n’y avait jamais prêté attention jusqu’à cet instant. D’ailleurs, comment avait-il pu arriver là ? Peu importait. Tout ce qu’il voyait, c’étaient les pointes de la couronne se métamorphoser en arme qui signerait son salut. »

Ce n’est là qu’une petite illustration, mais je ne peux pas vous en dire davantage. Il faudra attendre de lire Les Secrets du Phénix…

En décembre, Eiffel rendra public son projet de construction d’une grande tour de 300 mètres de haut. L’accueil ne fut pas enthousiaste et la construction devait être éphémère. Aujourd’hui, la Tour Eiffel accueille 7 millions de visiteurs par année

La fin du 19ème siècle est donc marquée par les réalisations mondialement connues de Gustave Eiffel

 

En 1884, une épidémie de choléra déferle sur la France

A la mi-juin, à Toulon, un marin est diagnostiqué porteur du choléra. L’homme était en service sur le navire baptisé La Sarthe, en provenance de Saïgon. C’est le début d’une terrible épidémie de choléra qui va se propager dans le sud de l’Europe et remonter jusqu’à Paris et en Normandie.

La rapidité avec laquelle la maladie circule est favorisée par le développement des moyens de transport en cette fin de 19ème siècle et par la mobilité accrue des habitants, pour des raisons professionnelles ou personnelles. Si la France réussit à limiter le nombre de victimes (environ 10 000), la situation est plus grave à Naples et en Espagne où on dénombre 120 000 morts en 1885.

En France, une commission dirigée par Louis Pasteur est mise sur pied et émet des propositions sanitaires que les autorités gouvernementales imposent : désinfection des voyageurs dans les gares et trains, confinement (déjà…), etc. Le traitement de la crise révèle de la part du gouvernement, pour la première fois, une attitude rationnelle et basée sur la science. La fin du 19ème siècle est en effet caractérisée pas le « positivisme », c’est-à-dire la supériorité de la science pour comprendre le monde et en régler les problèmes.

La maladie touche la capitale française en novembre Les habitants sont pris d’un sentiment de panique, entretenu par la presse de l’époque. Les plus riches fuient vers des zones jugées plus sûres (Versailles et Trouville notamment). On craint la promiscuité et l’insalubrité de certains quartiers surpeuplés. Ce seront naturellement les couches les plus précaires de la population qui subiront le funeste sort de l’épidémie.

La recherche d’un vaccin est une affaire nationale voire nationaliste : elle met en compétition le Français Pasteur et l’Allemand Koch. La guerre franco-prussienne ne date que de 14 ans et la revanche est bien présente dans beaucoup d’esprits français. C’est toutefois un médecin espagnol, Jaume Ferran, qui produit une avancée importante dans ce domaine, à partir du filtrage du sang de malades convalescents. Les résultats portent à polémique entre scientifiques.

Je vous invite à garder ces éléments en tête quand vous lirez Les secrets du Phénix : il est possible qu’on y fasse allusion ailleurs que dans l’extrait suivant, plus mystérieux qu’il y paraît.

Extrait des Secrets du Phénix (dixième chapitre)

« —A ce propos, permettez-moi de vous présenter deux de nos plus éminents savants, dit Lacombe en se tournant vers les deux hommes en cache-poussière. Voici les professeurs Charles Havart et Peter von Pratt.

Havart enleva ses lunettes rondes et adressa un sourire poli à Bertrand. Absorbé par son travail, von Pratt lança un Guten Tag déplaisant, sans lever les yeux de son microscope.

—Ces messieurs enseignent plus particulièrement la bi-biologie. L’un a travaillé avec Pasteur, l’autre avec Koch. Aujourd’hui, entre ces murs, ils contribuent à la recherche d’un va-vaccin contre le choléra. Vous n’ignorez pas que cette maladie a refait son apparition dans le sud et qu’elle progresse vers Paris. Ils redoublent d’efforts pour aboutir à temps et éviter la ca-catastrophe.

—Je suis certain que notre sort est entre de bonnes mains, assura Bertrand qui poursuivait son observation de la pièce. Est-ce que le laboratoire se prolonge à côté ? demanda-t-il en désignant une porte encastrée dans le mur latéral. »

 

La fin du 19ème siècle : l’environnement des Secrets du Phénix

Avec ce bref aperçu, vous pouvez mieux comprendre l’environnement dans lequel se déroule l’intrigue des Secrets du Phénix. J’ai voulu faire ressentir cette atmosphère pour coloriser le récit et vous plonger dans l’ambiance du roman. Cela relève d’un délicat numéro d’équilibriste. Il faut donner quelques touches, crédibiliser le roman par quelques détails intéressants et qui servent l’intrigue. Le danger est de vouloir montrer qu’on a bien travaillé, qu’on a effectué des recherches sérieuses, au risque de noyer le lecteur sous des détails censés montrer l’érudition de l’auteur et lui faire perdre le fil de l’histoire.

C’est pour éviter ce péché d’orgueil que je vous ai proposé cet article qui vous fait découvrir le décor des Secrets du Phénix.

Faites-moi savoir ce que vous en avez pensé en laissant un commentaire.

 

 

 

 


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